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1 septembre 2016 4 01 /09 /septembre /2016 22:52
Pilote de guerre

Et ce n’est pas que je ne pense sur la guerre, sur la mort, sur le sacrifice, sur la France, tout autre chose, mais je manque de concept directeur, de langage clair. Je pense par contradictions. Ma vérité est en morceaux, et je ne puis que les considérer l’un après l’autre. Si je suis vivant, j’attendrai la nuit pour réfléchir. La nuit bien aimée. La nuit la raison dort, et simplement les choses sont. Celles qui importent véritablement reprennent leur forme, survivent aux destructions des analyses du jour. L’homme renoue ses morceaux et redevient arbre calme.

Le jour est aux scènes de ménage, mais la nuit, celui-là qui s’est disputé retrouve l’amour. Car l’amour est plus grand que ce vent de paroles. Et l’homme s’accoude à sa fenêtre, sous les étoiles, de nouveau responsable des enfants qui dorment, du pain à venir, du sommeil de l’épouse qui repose là, tellement fragile et délicate et passagère. L’amour, on ne le discute pas. Il est. Que vienne la nuit, pour que se montre à moi quelque évidence qui mérite l’amour ! Pour que je pense civilisation, sort de l’homme, goût de l’amitié dans mon pays. Pour que je souhaite servir quelque vérité impérieuse, bien que, peut-être, inexprimable encore…

Pour le moment, je suis tout semblable au chrétien que la grâce a abandonné. Je jouerai mon rôle, avec Dutertre, honnêtement, cela est certain, mais comme l’on sauve des rites lorsqu’ils n’ont plus de contenu. Quand le dieu s’en est retiré. J’attendrai la nuit, si je puis vivre encore, pour m’en aller un peu à pied sur la grand-route qui traverse notre village, enveloppée dans ma solitude bien-aimée, afin d’y reconnaître pourquoi je dois mourir.

Antoine de Saint-Exupéry, dans Pilote de guerre.

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