Quelques instants avant de sauter un cheval ralentit, se met de biais, se rassemble, s’élève comme une vague monstrueuse, et retombe de l’autre côté. Les haies et le ciel décrivent un demi-cercle. Puis comme si votre propre corps se fondait dans le corps du cheval, comme si s’étaient vos propres jambes devenues les siennes qui sautaient, vous vous élancez et filez dans l’air, le sol élastique, les corps une masse de muscles, pourtant c’est vous en même temps qui commandez, le dos droit maintenu immobile, les yeux jugeant avec précision. Puis les courbes cessent, font place à un véritable martèlement, qui secoue ; et vous vous arrêtez avec un soubresaut ; vous reculez un peu sur la selle, parcouru de pétillements, de picotements, les artères battantes givrées de froid, haletant : « Ah ! Ho ! Ha ! » la vapeur montant du corps des chevaux alors qu’ils se bousculent à la croisée des chemins, là où se trouve le panneau indicateur, et la femme en tablier reste debout à regarder sur le pas de la porte. L’homme parmi les choux se redresse pour regarder lui aussi.
Virginia Woolf
La chambre de Jacob (extrait)
